18
— On ferait mieux de partir maintenant, dit Marklin.
Allongé sur le lit de Tommy, les mains croisées sous la nuque, il examinait pour la énième fois les détails du ciel-de-lit en bois.
Tommy était assis au bureau, les pieds sur l’ottomane de cuir noir.
Cette chambre était plus grande que celle de Marklin et exposée au sud, mais Marklin adorait la sienne. Il avait mis dans une valise tout ce qui avait de la valeur pour lui et avait glissé la valise sous son lit. Il était prêt à partir.
— Appelons ça une prémonition, dit-il. Je ne veux pas rester ici. Nous n’avons aucune raison valable pour rester.
— Tu es fataliste et stupide, dit Tommy.
— Écoule, tu as fait ce qu’il fallait pour les ordinateurs, les quartiers de Stuart sont impénétrables, sauf si on veut prendre le risque de fracturer la porte et, pour couronner le tout, je déteste les couvre-feux.
— Je le rappelle que le couvre-feu concerne tout le monde, pas seulement toi. Et si nous voulions partir maintenant, on nous poserait des dizaines de questions avant même que nous ayons atteint la porte. Sans compter que partir avant le service funèbre serait un manque de respect.
— Tommy, je ne supporterai pas une cérémonie aux petites heures du jour avec son lot de discours ridicules sur Anton et Aaron. Je veux partir maintenant. Coutumes, rituels. Ces gens sont des crétins, Tommy. Excuse ma franchise. Et puis il y a plein d’escaliers ici, pour filer en douce. Je suis pour décamper tout de suite. J’ai des choses à faire.
— Moi, je fais exactement ce qu’on nous a demandé, c’est-à-dire observer le couvre-feu et descendre quand la cloche sonnera. Maintenant, Marklin, si tu n’as rien de plus intelligent ou de plus utile à dire, je préférerais que tu la fermes.
— Mais pourquoi t’obstines-tu à vouloir rester ?
— Eh bien, si tu veux savoir, on a une chance d’apprendre pendant la cérémonie où Stuart garde Tessa.
— Et comment ?
— Stuart a sûrement une maison quelque part, une demeure familiale ou quelque chose comme ça, Marklin. En jouant finement, on pourra poser une ou deux questions à ce sujet en prétextant qu’on se fait du souci pour lui. Tu as une meilleure idée ?
— Tommy, je ne crois pas que Stuart garde Tessa chez lui. C’est un homme lâche, mélodramatique et lunatique, peut-être, mais pas un imbécile. Nous ne le trouverons pas, pas plus que nous ne trouverons Tessa.
— Alors que faire ? On laisse tomber ? Avec tout ce qu’on sait ?
— Non, on se tire, on retourne à Regent’s Park et on réfléchit. On réfléchit sur quelque chose de bien plus important pour nous, maintenant, que le Talamasca.
— C’est-à-dire ?
— Les sorcières Mayfair. On examine le dernier fax d’Aaron aux Aînés et le dossier. On le passe au crible pour découvrir quel est le membre du clan qui servirait le mieux nos objectifs.
— Tu vas trop vite, Marklin. Qu’est-ce que tu as en tête ? Enlever un couple d’Américains ?
— Ne discutons pas de ça ici. Bon. Moi, j’attends que cette saleté de cérémonie débute et je file à la première occasion. Tu peux me rejoindre plus tard, si tu veux.
— C’est malin ! Tu sais bien que je n’ai pas de voiture. Je suis obligé de te suivre. Et si Stuart est à la cérémonie ? Tu y as pensé ?
— Stuart ne reviendra pas ici. Il n’est pas si bête. Écoute, Tommy. Je reste jusqu’au début de la cérémonie, je présente mes hommages, je bavarde avec quelques membres et je me taille. Adieu Stuart et Tessa ! Mon objectif, maintenant, c’est les sorcières Mayfair.
— D’accord, je vais avec toi.
— Tu vois, quand tu veux…
— Dors un peu, maintenant. On ne sait pas à quelle heure on va nous appeler. Et c’est toi qui conduis.